À Marseille, dans un appartement du début du XXe siècle, Annick Lestrohan, fondatrice de la marque Honoré, déploie tout son art de la transformation. Un lieu revisité entre esprit méditerranéen et fantaisie bohème.

Ce bureau aux airs de jardin d’hiver convoque l’esprit des haciendas. De grandes ouvertures laissent passer la lumière du Sud.
À Marseille, dans un appartement au charme discret, Annick Lestrohan, a orchestré une transformation radicale. Non pas pour y apposer une simple signature esthétique, mais pour le faire sien, dans un dialogue permanent entre mémoire, matière et imagination. Ce lieu, elle ne l’a pas aimé d’emblée. Trop classique, trop bourgeois. Jamais elle n’y habiterait, s’était-elle dit en le découvrant. Pourtant, comme souvent dans la vie d’Annick Lestrohan, les évidences se construisent dans le temps, à force d’instincts et d’intuitions. Ce refus initial deviendra le point de départ d’un travail d’appropriation.
Un langage de matières, de contrastes et d’évocations
L’univers d’Honoré, la marque fondée par Annick Lestrohan, repose sur une esthétique libre : mélanger le lin brut au marbre noble, juxtaposer des zelliges marocains avec des lampes en raphia, faire cohabiter objets chinés et pièces artisanales. Chez la créatrice, cette grammaire prend corps dans une ambiance feutrée, inattendue. Les murs bruns absorbent la lumière méditerranéenne, les matières racontent le geste, l’imperfection, la main de l’artisan. Rien n’est figé. Le salon d’hiver, par exemple, est un espace métamorphe. Pensé comme un patio andalou, il s’ouvre aux vents l’été, s’abrite des courants d’air l’hiver, et laisse pousser fougères, kentias et philodendrons en toute liberté. C’est un jardin intérieur, un lieu suspendu, façonné de bric et de broc – grilles en fer, banquettes en rotin, fauteuils Honoré, tables chinées – mais toujours avec cohérence.
Le jeu des détournements
Ce qui distingue la fondatrice d’Honoré, est cette capacité à déplacer le regard. Le couloir devient bar, les échelles deviennent porte-serviettes, un îlot de cuisine devient table de banquet. Elle invente, transforme, détourne — avec l’élégance d’un geste improvisé. Ce qui est trop lisse lui déplaît. Chaque recoin de son appartement incarne cette philosophie du détournement créatif. Ainsi, dans la cuisine, le plan de travail en marbre converse avec des suspensions en Plexiglas des années 70. Le comptoir en rotin du couloir est repeint en doré. Et dans la salle à manger, une table monumentale semble formée de neuf petites réunies par une rainure en laiton. Ce goût du bricolage raffiné, du système D poétique, c’est tout l’ADN d’Honoré.
Comme une scène de théâtre
Chez Annick Lestrohan, les objets voyagent. Rien n’a vocation à rester à la même place. Un jour ici, un autre là. Elle chine, elle échange, elle assemble selon son humeur. Une série de poules en papier mâché peut trôner au centre de la table ; une suspension en corde se balancer doucement au-dessus du lit. L’ensemble crée une atmosphère de théâtre domestique, où chaque pièce raconte une scène, chaque objet un rôle. Tout dans cet appartement évoque le Sud – un Sud rêvé, traversé par l’Espagne, le Maroc, le bassin méditerranéen. Mais au-delà des influences, c’est une façon d’habiter le monde. Dans la chambre, une tête de lit en rotin achetée en Espagne cohabite avec des miroirs en laiton et un tapis marocain. Dans la salle de bains, une structure de baldaquin dorée évoque les hôtels d’un autre temps, tandis que les flotteurs de pêche suspendus au plafond ramènent à la mer toute proche. Ce mélange d’imaginaire et de réel, d’intime et de lointain, d’ancien et de détourné, compose un univers profondément singulier. Plus qu’un appartement, ce lieu est un autoportrait. On y retrouve l’audace, la douceur, l’exubérance mesurée de la maîtresse des lieux.


Autour d’une cheminée redessinée et habillée de zelliges chocolat, s’accumulent fauteuils Ghost, poufs marocains, tables Paloma en rotin, objets vintage et trouvailles rapportées de voyage.



Le brun profond s’invite aux murs, contrastant avec la lumière crue du sud, et les matériaux naturels — lin, bois patiné, céramique artisanale — dessinent un décor chaleureux et texturé.



La grande table en marbre, posée sur douze pieds de fer, trône au centre d’une salle à manger. Des chaises-poissons chinées, des poules en papier mâché et des suspensions en macramé jouent les contrastes.


Dans la cuisine, un îlot central réalisé sur mesure, allie marbre et médium teinté, laiton et bois sombre. Suspensions vintage en Plexiglas, céramiques portugaises et tabourets Tam Tam complètent cette scène vivante et généreuse.


Avec l’œil affûté et l’âme libre qui signent tous ses projets, Annick a injecté un souffle espagnol, une touche d’insolence méditerranéenne et ce goût du mélange qui fait toute la poésie d’Honoré.

Le couloir se transforme en bar chic et décalé : comptoir en rotin doré, fauteuil en velours rayé, lampadaire chiné.



Des plantes luxuriantes envahissent le jardin d’hiver. Des pièces uniques signées Honoré, comme le tabouret en corde ou le fauteuil façon treillage, dialoguent avec le mobilier chiné.



La chambre chante le Sud : rotin espagnol, miroirs en laiton, tapis marocain, objets Honoré… L’âme d’un voyage, figée dans un instant de douceur.



Dans la salle de bains, les échelles en fer doré font office de porte-serviettes, les joints dorés rehaussent la mosaïque brune au sol, et les flotteurs de pêche au plafond deviennent sculpture suspendue.

Au cœur du Marseille ancien, derrière la façade discrète d’un immeuble du début du XXe siècle, Annick Lestrohan a opéré une métamorphose audacieuse.
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Photos © Pierrick Verny et Honoré
Auteur : Nathalie Truche
Date de publication : 21 avril 2025
Date de la dernière mise à jour : 13 avril 2025